Visite du Président de la République Monsieur Sadi Carnot aux Forges de l'Adour

Publié le par adolphine

Article du "Courrier de Bayonne" le 25 mai 1891

Toute la population a déserté les maisonnettes qui contournent l'usine et l'enserrent. Les femmes et les enfants sont en majorité, car tout le personnel de cette ruche industrielle est dans les ateliers, chacun occupant son poste de travail.

Monsieur le Président pourra voir de cette façon les établissements en plein fonctionnement et suivre les diverses fabrications.

Les conseils municipaux de Boucau et de Tarnos sont réunis pour le recevoir sur ce point, ainsi que toutes les équipes des Forges qui rentreront à 6 heures.

Une allée a été crée sur les marais et sur la route qui mène aux usines avec les quais de l'Adour. De grandes branches de pins, plantés sur les accotements du chemin d'aller, dissimulent les eaux stagnantes qui l'entourent.

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Un débarcadère large et très confortable a été construit. Un arc de triomphe, car c'est le triomphe de l'industrie, se dresse sur le quai. Toute sa charpente est sortie de l'arsenal de l'usine. Les quatre colonnes qui soutiennent le chapiteau ont un diamètre de 70c et se composent de 16 rails de 7 mètres; les cannelures des rails ont été disposées de manière à donner à ces colonnes un cachet architectural.

Les rails reposent sur un socle formé de blocs de fer chromé ou au nickel, d'écluses et de coins arrangés avec art.

L'entablement et le chapiteau sont formés avec des fers cintrés d'une courbure très gracieuse.

Le fronton se développe en un double éventail de lames étincelantes d'acier. Le tout est orné de faisceaux de trophées de drapeaux et d'écussons avec les initiales R.F.

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A côté de l'embarcadère stationne un vapeur de l'usine tous ses pavois dehors. Du débarcadère à l'usine, des mâts vénitiens, fournis par les plus beaux pins de la forêt et peints en bleu laissent flotter à leur sommet des bannières aux couleurs françaises garnies de glands d'or.

Tous les hangars de l'usine sont pavoisés d'appliques avec couronnes enlacées de bandelettes tricolores au centre desquelles se répètent en lettres d'or les lettres R.F.

C'est surtout la grande cour intérieure, où battent agités par le vent oriflammes et drapeaux, qui présente un superbe aspect.

Au moment de l'entrée du Président, la fabrication est en pleine activité. Les lingots d'acier courrent sur le sol en sortant des laminoirs come des serpents de feu; ils vont sans cesse s'allongeant, pris à la course par les énormes tenailles qui ne les lâchent que lorsque cette masse d'acier ardent, sortie des réchauffoirs, n'ayant qu'un mètre de hauteur, s'est affilée en passant 18 fois sous le train des laminoirs pour arriver à une longueur de 30 mètres.

Une cisaille les coupe ensuite à la dimension réglementaire et l'opération se fait au milieu de gerbes d'étincelles et des cris de l'acier que l'on coupe. Puis suivent les opérations de redressement, de rabotage et de finissage de ces pièces d'acier.

Monsieur le Président de la République est tout d'abord conduit dans l'atelier des travaux de laminage des fils d'acier, il passe à celui des fers marchands.

Le four d'acier Martin est chauffé; de l'intérieur de la fournaise se dégage des gaz embrasés qui ont des rayonnements et des fulgurations multicolores. La bouche du four s'ouvre et Monsieur Carnot assiste à une coulée.

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De là, le cortège se dirige vers le four d'acier Bessemer. A peine le chef de l'Etat pénètre-t-il dans le vaste hanger que le fourneau ouvre sa gueule. Le monstre vomit dans un souffle bruyant, ayant la température de 1800 degrés, des torrents de flammes, au milieu d'une pluie d'étincelles.

Puis la chaudière portant 7000 kilog. et mue par des presses hydrauliques se met en mouvement et déverse le liquide dans des récipients rangés sur son passage.

C'est ensuite les ateliers de laminage et de finissage des rails que le cortège parcourt avant de se diriger à un embarcadère tout pavoisé, construit à 200 mètres de l'autre, vis à vis le débarcadère construit par le service des ponts et chaussées à quelques mètres de la tour des signaux.

Sachant qu'on l'attend de l'autre côté, Monsieur Carnot ne peut visiter la nouvelle usine de fabrication du ciment à l'aide du laitier des hauts fourneaux et en convertit déjà plus de 10 000 kilos par mois et occupe plus de 100 ouvriers. C'est pour ainsi dire une annexe des Forges dont elle sera la propriété dans 14 ans.

Chacun emporte de ce court passage dans ce magnifique établissement une impression profonde : il fait gloire à l'industrie française et surtout à Monsieur Magnin qui l'a crée de toute pièce, grâce au concours de ses dévoués collaborateurs qui sont pour lui des amis.

Avant 1883, les 18 hectares du domaine de l'usine étaient des dunes de sable incultes. Aujourd'hui, on en a fait un immense plateau sur lequel a été bâtie une ville industrielle. Les Forges occupent près de 1500 hommes et livrent au commerce intérieur et d'exportation près de 50 000 tonnes d'acier par an.

L'usine n'a jamais eu de chômage et travaille pour tout le monde; aujourd'hui sa fabrication est réservée à Suez. Du reste elle modifie ses fabrications suivant ses besoins et accroît chaque jour davantage le rayon de ses affaires.

Monsieur Magnin, qui a tiré du néant ces superbes établissements métallurgiques peut être fier de son oeuvre et en revendiquer hautement le mérite; on ne l'oublie pas au Boucau, et ce fut avec de véritables transports d'allégresse que le monde de ses travailleurs accueillit, en 1889, la grande récompense personnelle qui lui fut décernée à la suite des remarquables produits envoyés par l'usine à l'exposition universelle.

Monsieur le Président est reconduit à l'embarcadère  où stationne l'Elan. Une flotille d'embarcations, pavoisées l'y attend.

Les ouvriers du Boucau précèdent le cortège. Les douaniers sont sur l'appontement et présentent les armes; sur le désir du Président l'itinéraire est changé. Monsieur Carnot veut voir la rive gauche dont tous lui ont parlé et il remonte le fleuve pour s'arrêter devant la cale de la scierie Aubert.

Il est 5 heures 20 quand les voitures reprennent la route de la Barre pour aller à Biarritz.

 

Publié dans Histoire

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